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"Les Dossiers de l'Institut du Tout-Monde" vous proposent des focalisations sur certains points liés à la philosophie générale de l'institut. Les créolisations, l'idéal de Relation, la trame plurielle et tremblée des interculturalités agissantes : les axes, en somme, qui furent ceux qu'Édouard Glissant avait voulus aux fondements de l'Institut du Tout-Monde, quand il le fondait en 2006. Une approche intuitive que nous déclinerons au gré de ces nouvelles propositions du site.

"La flûte des mornes"

poème d'Ernest Pépin


Pour Mona


La flûte des mornes

Monte

S’enroule autour du serpent maigre

Escalade les torrents fous

Blues

Blues à boire

Blues à ti-bois

La flûte des mornes force l’énergie

Secoue la crinière des rivières

Bascule le tambour de basse

Baille la voix

Mona

Baille la voix

Les chiens de garde ont peur

Baille la voix

Mona

Bel air de la flûte des mornes

Bel air aux pieds nus

Ballet de bambous

En vérité

En vérité Mona ouvre la tête du morne

Présente au nord

Présente au Sud

Le bouclier des voix nouvelles

En vérité

Flûte de flamands roses

Flûtes des colombes bleues

Flutes des feux de bois brûlés

En vérité

Le grand vertige descend des mornes

Réveille les sept couleurs

Réveille les abeilles

Mona réveille- nous

Réveille-toi

Il n’y pas de point final

Il n’y a pas de note finale

Il y a seulement le morne qui dégringole

Dans le bois brûlé de nos cœurs

  

Eugène Mona, Bwa brilé

Eugène Mona, Face-à-face

Eugène Mona, Agoulousse sé lan mo

Eugène Mona, Tambou sérié

Eugène Mona, Mi Lago

Eugène Mona, Ti Milo

Eugène Mona, Ralé i Ralé i

Quand je me lève le matin / Je me saisis du bout de corde / Je me ceins les reins / Pour faire ma tâche / Et vérifier mes animaux / À six heures j’ai fini / Je me saisis de la grande houe / Je lève mes yeux / Pour demander courage / « À la divinité » / Qu’elle me montre / Le moyen pour que je ne ressente pas / Ma misère / Dieu m’a fait pour ça /  Il m’a donné un bois brulé / Il m’a donné beaucoup de sang / Et je suis bien résistant /  D’après les exploitants / Je ne suis pas beau / Elle n’est pas belle, ma compagne / Nous ne sommes pas faits pour le luxe / Pas même pour le calice / Nous devons y être admis / D’après ce que je vois / Et que j’entends que / C’est ce que l’Histoire / A laissé de nous / Dans les archives.


Traduction : Loïc Céry, colloque "La patrimonialisation de l'histoire et de la

mémoire de l'esclavage : du local au global", Archives nationales, 21-22 mai 2015.

Lè man lévé lé matin / Man ka pran bout’ kod’ la / Man ka maré rin mwen / Pou man ay fè trin mwen / É gadé zannimo mwen / Lè i siz è man fini / Man ka pran gran houe a / Man ka lévé zyé mwen / Pour man mandé kouraj / « À la divinité » / Rivé ban mwen / An mannyè pou man pa sa santi  / Lanmizè mwen / Bondyé fè mwen pou sa / I ba mwen an bwa brilé / I ba mwen an pil san / É man bien résistan / Dapré lé exploitans / Man pa bel / I pa bel kompany’ mwen / Nou pa fèt pou « le luxe » / Pa mem pou « le calice » / Nou ni dwa tet admi / Dapré sa man ka wè / É man ka tan’ sé sa listwa / Kité ban ou, vié frère / « Dans les archives »

Force poétique et spiritualité intense


Eugène Mona fut "auteur, compositeur interprète", selon la formule consacrée. C'est en fait une réelle œuvre qu'il réussit à constituer au fil des années. De son vivant, ses textes n'ont pas toujours été compris, contenant parfois une certaine part d'opacité - une part empruntée, on l'aura deviné, à la tradition du conteur créole. Mis à part les chansons faisant un usage de faits d'actualité facilement identifiables par le public, beaucoup de textes de Mona sont empreints d'une spiritualité exacerbée. Fondés sur un créole très ancien (celui du Nord de l'île, dont Mona n'est pas originaire : il est né au Vauclin, commune du Sud), tant dans la syntaxe que dans le lexique, les textes de Mona font par ailleurs usage d'un langage personnel, parfois fondé sur des néologismes créoles. Cet usage particulier du créole peut aussi expliquer que dans bien des cas, les textes de Mona sont très mal traduits, ceux qui s'y risquent passant à côté de symboles poétiques d'une force considérable.  Parfois très brefs ou au contraires très longs, les morceaux sont conçus pour frapper l'auditoire. Les formes brèves sont élaborées un peu comme des interpellations cinglantes, comme par excellence Ralé i Ralé i, chant de l'exploitation qui dit en juste quelques mots terribles et en un rythme obsédant, la misère des travailleurs, au service des Békés : "Manman mwen ka hélé/ Papa mwen condané / Yo travay ba an bétché / Mé djol yo ka bavé" ("Ma mère est aux abois / Mon père est condamné / Ils ont travaillé pour un béké / Mais ils en bavent encore"). Les chansons inspirées de faits d'actualité ou d'observations personnelles relèvent de la satire sociale : Ti Milo, sous ses dehors enjoués, dit le mépris dans lequel sont tenus les artistes locaux ; Mi Lago dit crûment la vanité des ambitions politiques, à partir de l'expérience d'un candidat au Sénat.


Certains morceaux, les plus longs, se présentent comme des méditations focalisées sur des phénomènes sociaux ou culturels précis, comme en l'occurrence Tambou sérié, véritable manifeste pour le tambour, considéré dans sa dimension identitaire mais aussi comme vecteur de spiritualité, au-delà même de l'entité culturelle (le texte évoque même les symboles maçonniques). Le morceau, qui dure plus de 12 minutes, se présente comme une longue et vibrante déclamation où l'artiste devient lui-même le tambour, lui donnant la parole pour mieux décliner sa signification. Et comme pour mieux affirmer qui'il se définit lui-même comme un instrument : "Mona sé an tambou" ("Mona est un tambour").


La veine morale et spirituelle (parfois mystique) des textes est marquée tout au long de l'œuvre, à l'exemple de ce morceau marquant des premiers albums, Agoulousse sé lan mo, qui en une violence voulue consacre une lucidité métaphysique drue et un regard réaliste sur la mort : "Passé nou ka passé / Pa fè ganm' anlè tè a / Nou sé dé cadav' doubout' " ("Nous ne faisons que passer / Ne faites pas les malins sur la terre / Nous sommes des cadavres en sursis"). Mais ce sont certainement les deux derniers albums, Témoignage et Blanc mangé, qui contiennent les deux morceaux "spirituels" de Mona considérés comme ses testaments musicaux : Bwa brilé et Face-à-face. Bwa brilé a marqué les esprits à juste titre, par sa force d'évocation. Mais le texte est souvent mal compris, compte tenu de sa forte teneur symbolique et plus précisément, métaphorique. On croit souvent que le "bois brûlé" désigne la peau noire, ce qu'il peut en effet être, mais l'expression, repose sur un usage polysémique et métaphorique de l’image du « Bois brulé », qui désigne à la fois, très prosaïquement la flûte des mornes dont c’est l’une des appellations, que le destin lui-même.

Eugène Mona, Mi mwen mi ou

Aimé Césaire inaugure en 1992 une avenue Eugène Mona à Fort-de-France. L'artiste est décédé l'année précédente, d'une congestion cérébrale foudroyante, suite à une altercation

de voisinage (ses colères étaient proverbiales).

Ci-dessus, Eugène Mona en concert dans les années soixante-dix, et flûtiste hors pair. À gauche, Aimé Césaire inaugurant en 1992 une avenue Eugène Mona à Fort-de-France. Césaire est resté très attaché à Mona et à sa musique. Le musicien a rendu hommage au poète à maintes reprises dans ses chansons, prenant même parti lors de ses campagnes électorales. Le morceau Mi mwen mi ou contient une diatribe acerbe adressée à l'un des concurrents de Césaire à la mairie de Fort-de-France, l'avocat Léon-Laurent Valère, décrit comme un émissaire du Secrétaire d'État aux DOM-TOM de l'époque, Olivier Stirn, pour les élections cantonales ("Sé pa mwen ki vini, Titin' qui vréyé mwen" - "Ce n'est pas moi qui me suis présenté de mon plein gré, c'est Stirn qui m'a envoyé") et comme King Kong qui veut s'emparer de la ville et de ses quartiers populaires, Volga, Trénelle, Citron, Baie des Tourelles. Mona, artiste césairien revendiqué, jusqu'à être ouvertement un de ces "hommes de Césaire" dont on parlait alors, partisans culturels mais aussi politiques, témoignant d'un attachement viscéral aussi bien à l'écrivain qu'au maire de Fort-de-France.

Le style de Mona est inséparable du personnage lui-même, impressionnant et inspiré. Le parcours biographique renforce son aura (une enfance malheureuse, puis l'itinéraire tour à tour de travailleur agricole et de charpentier, avant de devenir un musicien autodidacte accompli). Sa stature en impose lors de ses concerts, son énergie inouïe de chanteur, de musicien, de chef d'orchestre et de danseur achèvent de créer la légende du "nègre aux pieds nus".


Volontiers égocentrique comme tous les grands créateurs, Mona parle de lui à la troisième personne lors des entretiens qu'il accorde, parle de sa mission auprès des Martiniquais, comme s'il devait habiter ce personnage. Georges Nilecam avait décidé de devenir Eugène Mona et de porter une musique et une parole qui le dépassaient et qu'il avait entrepris de servir.

  

Sur les traces de Mona (Nathalie Glaudon, 2009). Un excellent portrait de référence du musicien

réalisé en 2009 par Nathalie Glaudon, pour France Télévisions. Biographie, analyses et entretiens.


  

Par Loïc Céry, Directeur du pôle numérique de l'ITM

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LES DOSSIERS DE L'INSTITUT DU TOUT-MONDE


  

Passeur de traditions et créateur de formes


Pour la musique martiniquaise, Eugène Mona fut avant tout un incomparable passeur (diffuseur et réinventeur) à la fois de la tradition du tambour Bèlè et de la flûte en bambou, liée à ce qu'on nomme musique des mornes. À vrai dire, Mona n'a pas été un simple interprète béat de ces traditions : pour mieux les diffuser et les valoriser, il choisit non pas de les "moderniser", mais de les revigorer comme des avant-gardes à part entière. Pour ce faire, il apporte à ces rythmes ancestraux certaines innovations organologiques (orchestres de tambour, sur la base d'éléments traditionnellement disjoints ; usages des différentes flûtes) mais aussi le rôle d'influences extérieures, comme le jazz et le negro spiritual. Pour être à même de réaliser ces apports-là, son rapport à ces traditions si anciennes (très différentes des formes urbaines, la Biguine et la Mazurka) est avant tout celui d'une immersion profonde, comme en témoigne son apprentissage du tambour par les maîtres tambouyés du Nord de l'île et sa formation de la flûite des mornes, auprès du maître du genre, Max Cilla. Au regard de ces traditions musicales, Mona intervient à un moment clé, où la société martiniquaise est en train de vivre une modernisation accélérée et l'intrusion massive de la consommation, au cours des années soixante-dix. Il faut comprendre ce que cet avènement de la société de consommation a entraîné comme bouleversements socio-culturels dans les Antilles : si, déjà en France, le moment est poprteur de mutations, il faut se représenter cette société qui passe directement de l'ordre colonial à la modernité consumériste, avec tous les désordres de représentation de soi tant étudiés d'ailleurs par Glissant dans Le Discours antillais. Or, les traditions du tambour Bèlè et de la flûte des mornes se trouvent être directement liés à la société d'Habitation, modèle qu'une certaine tension d'alination veut effacer, gommer de la mémoire collective. Avec quelques autres, mais un peu comme un chef de file, Eugène Mona contribue à remettre au devant de la scène les traditions musicales martiniquaises, comme le rappel têtu d'une identité première qui risque de se diluer. C'est d'ailleurs pourquoi sa volonté rencontre tant l'assentiment d'Aimé Césaire, alors maire de Fort-de-France, qui décide de le promouvoir à travers le festival culturel lancé alors dans la capitale. Le SERMAC (Service martiniquais d'action culturelle), organisme municipal portant l'action culturelle de l'équipe de Césaire le met en avant, ce qui constitue mieux qu'un adoubement, la reconnaissance d'une direction voulue d'affirmation identitaire. Mona est également célébré à l'Institut martiniquais d'études fondé par Édouard Glissant en 1967 (Glissant, comme Césaire, demeurera un fervent admirateur d'Eugène Mona).


En se fondant sur les traditions, Mona devient le créateur d'un style musical inimittable, qui sert la tradition sans s'en servir, en propulsant les formes du Bèlè et de la flûte des mornes dans un geste expressif particulier. De toute évidence, l'artiste veut exprimer dans cet usage des traditions comme dans ses concerts mêmes (qui, en témoignent ceux qui les ont vécus, étaient comparables à des séances de vaudou), quelque chose de premier et d'archaïque dans l'âme antillaise. Le ressort de cet appel-là est, on l'aura devniné, lié à la mémoire de l'esclavage, non seulement bien sûr par le biais du tambour Bèlè, mais aussi de la musique des mornes qui est spécifiquement héritée des nègres marrons. La tradition de la "flûte des mornes" en Martinique est en soi un héritage musical qui garde en lui la trace vive d'une mémoire des temps esclavagistes. Cette flûte de bambou traversière pratiquée dans les montagnes de l'île, dans ces bois profonds qui abritent l'âme du pays, est l'expression de la ruralité et ses origines sont lointaines. Les mornes étaient les lieux de refuge des esclaves en fuite, des Marrons, qui ont apporté aussi à cet instrument son aura de légende. Mais, on peut le dire sans exagération, ce rappel que porte Mona est, à l'orée du succès qu'il va connaître dans les années soixante-dix, mal perçu par les tenants, nombreux de la modernisation et en particulier, de la logique qu'on nomme alors celle de l'assimilation. Aux yeux de ceux-là, la musique de Mona, celle des tambouyés et des flûtistes de mornes est ouvertement qualifiée de musique de vié nèg (musique de vieux nègre), terme qui dit bien le mépris dans lequel est tenue cette expression des racines rurales. Commençant à se produire sur les scènes françaises vers la fin des années soixante-dix, Mona connaît pourtant un succès fulgurant, succès qui contribue, en synergie avec le soutien de l'action culturelle de Fort-de-France menée par Césaire, à asseoir son audience en Martinique.


  

GRANDEUR DE MONA

  

Il faudrait à coup sûr s'appareiller d'outils d'analyse très ambitieux, issus de l'anthropologie ou de bien d'autres types d'approches, en somme faire montre de toute une science explicative, finalement très pauvre face à l'objet en question, pour rendre compte correctement du type de phénomène très rare et très précieux que constitue la haute figure d'Eugène Mona, au regard de toute une culture et de son expression, hissée à son plus haut degré. L'anthropologie certainement, est en mesure d'expliquer comment et pourquoi de telles figures émergent tout à coup dans l'évolution d'une aire culturelle, en un moment précis qui permet son éclosion et son éclat, de telle sorte que chacun qui en a été le témoin en demeure imprégné, s'interrogeant encore sur l'étendue d'une force qui se fait toujours entendre. Les sociétés issues de la colonisation, parce qu'elle ont connu en leur sein une violence qui a aussi eu pour conséquence de faire des formes culturelles des leviers d'expressions de forces considérables, identités collectives et individuelles entremêlées, ont peut-être la singularité de sécréter de tels exemples. C'est peut-être cette concentration de forces peu commune, en tout cas incomparable aux sociétés où la culture a comme une senteur policée, qui produit à des moments clés des éléments qu'on pourrait dire presque chimiquement purs, où l'artiste, comme le disait aussi Senghor, est le réceptacle et le vecteur d'une conscience collective, et en devient le porteur de flambeau, détenteur d'une énergie quasiment sacrée. Dans son Anthropologie structurale, Lévi-Strauss nomme ce sacré impersonnel le Mana. C'est aussi peut-être ce Mana qui peut expliquer en quoi certains artistes des sociétés ayant eu à supporter le fait colonial deviennent brusquement (et je dis "brusquement" parce que personne ne peut prédire leur émergence) les instruments synthétiques par lesquels se dit une culture, une mémoire, une identité, le tout en une présence qu'on nomme l'aura. Les points de comparaison en musique sont rares, ont peut évoquer d'autres figures de cet ordre pour les aires provenant des trajectoires de la colonisation, Fela Kuti, Bob Marley ou Cesaria Evora, sans que ces analogies épuisent la singularité dont il est question ici. Eugène Mona (de son vrai nom Georges Nilecam), musicien martiniquais qui connut son apogée dans les années 1970 et 1980, est certainement de ceux-là : un de ces phénomènes dont il est très difficile de parler sans superlatifs, et dont l'approche même demande un effort de rigueur, pour ne pas laisser l'admiration légitime entraver la tentative simple qui consiste à se demander : de quoi fut-il question là, quel fut ce phénomène et peut-il même se résumer à son medium d'expression, en l'occurrence la musique ? La question devient d'autant plus intéressante et même, de la première importance, quand on sait que Mona n'a pas émergé en n'importe quelle époque, mais en un moment charnière de l'évolution des Antilles, qui a vu aussi d'autres références, littéraires celles-là, tenter de diffuser une parole singulière. Ce n'est qu'aujourd'hui, avec le recul nécessaire, qu'on est à même de prendre la mesure, de commencer en tout cas à le faire, à propos de la grandeur d'Eugène Mona, comme le font les musicologues, les sociologues et les autres. Chamoiseau ou Confiant lui ont consacré de belles pages, d'autres tentent des approches variées. Demeure un monument de la musique antillaise, de la culture antillaise, de la musique "des Amériques" comme dirait Glissant, de l'âme caribéenne en sa profondeur et en ses soubassements. Connaissez-vous Mona ?

(Édouard Glissant, Une nouvelle région du monde, 2006)

"Nous avons rendez-vous où les océans se rencontrent..."

  

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